Entretien avec Monsieur Hu (2/2)

Évidemment, il n’y a ni jardin, ni pivoines au jardin des pivoines. Notre interlocuteur a donné rendez-vous à Monsieur Hu dans un des nombreux cafés à l’occidentale qui prolifèrent dans la capitale. Décoration kitsch et sans âme, un mur bibliothèque tout au fond sur lequel s’alignent quelques dizaines de livres censés créer une atmosphère cosy à l’anglaise je présume. Quelques vieilles publicités, dont une pour les chocolats Meunier, parfaitement identique à celle que l’on trouve dans les attrapes-touristes parisiens. Une reproduction d’une gravure, un Dürher je crois. Je n’ose pas demander à la serveuse.

Notre interlocuteur, chinois mais manifestement tout frais rentré des Etat-Unis, polo saumon, pantalon beige, souliers en cuir, très chic. Je suis en short et chemisette, je pue et je ne me suis pas rasé depuis une semaine, fais chier. Monsieur Hu me présente comme un “ami”. Il est surpris de me voir débarquer à l’improviste, mais se ressaisis vite. “Nice to meet you”. -“很高兴认识你”, que je réponds d’un air fat.

Le mec tourne son mac vers nous, sur lequel se déroule un joli ppt, et commence sa présentation. Il parle vite, mais heureusement dans un mandarin très standard, qui tranche avec le parler beaucoup plus “couleur locale” de Monsieur Hu. Je n’aime pas ce mandarin fadasse sur lequel surnage ça et là quelques mots d’anglais, mais au moins il est plus facile à comprendre, et en l’occurrence ça m’arrangeait bien.

Le projet en question est une sorte de plateforme d’analyse des performances des traders en crypto. L’idée est de repérer les 大牛, les traders les plus performants, d’analyser leur stratégie et de proposer ensuite aux 小白, les “blanc-becs”, de les “suivre” pour copier cette stratégie. Le trader toucherait un certain pourcentage du volume généré par ses “suiveurs”.

Tiens, ça ressemble un peu à eToro quand même.

Les informations relatives aux 大牛 sont encryptées et anonymisées sur la blockchain d’Ethereum. Monsieur Hu écoute poliment, quoiqu’avec une certaine désinvolture : on voit tout de suite qui commande ici.

Le mec veut faire une ICO, évidemment. Selon lui, le produit est prêt, et il a déjà calculé le retour sur investissement : 200 millions de RMB, juste pour les exchanges chinois la première année. Mazette.

Monsieur Hu lui fait gentiment remarquer que ses hypothèses de calcul sont très optimistes. Il veut évidemment dire que c’est de la foutaise. Il va néanmoins prendre une heure pour lui expliquer comment il pourrait s’y prendre. Avant de se lancer dans une ICO, il faut réussir à gagner de la visibilité dans les média spécialisés. Il y a quelques influenceurs incontournables, mais évidemment ils sont difficiles à atteindre et très chers. Le conseil de Monsieur Hu est donc dans un premier temps de participer aux événements Blockchain un peu partout dans le pays, de pitcher aussi souvent que possible, et de trouver quelques investisseurs privés prêts à le soutenir. Ça tombe bien, il y a justement un événement prévu cette semaine à Chengdu, à l’autre bout du pays.

La leçon est terminé, notre ami américain est ravi, il exulte, il en rote d’aise. La discussion se fait plus informelle. Il se tourne vers moi : “Est-ce que vous savez ce qu’est une ICO ?” -“On ne parle que de ça depuis des mois, comment ne le saurais-je pas ?” -“Très juste. Comment avez-vous connu la Blockchain ?” -“Je ne sais pas ce qu’est la Blockchain. Mais je m’intéresse à la blockchain de Bitcoin. Vous connaissez Andreas Antonopoulos ?” -“Qui ça ?”

Je m’y attendais, et c’est intéressant : Andreas Antonopoulos est virtuellement inconnu en Chine. Je m’en doutais après avoir recherché ses vidéos sur Baidu :

Monsieu_Hu_antonopoulos
64 vues pour cette vidéo
Monsieur_Hu_Antonopoulos_youku
Seulement 4 vues pour cette vidéo sur Youku !

“J’ai encore perdu mon temps”. -“Qu’est-ce que tu penses de ce projet ?” -“牛粪 (bullshit), on a pas besoin d’une blockchain pour faire ça, et encore moins d’une ICO. Hors de question que je travaille avec lui. Je lui ai donné quelques conseils, maintenant il se démerde avec.”

Nous nous engouffrons rapidement dans le métro pour retrouver un peu de fraîcheur. “Le problème, c’est qu’arrivé à un certain point tu ne peux plus vraiment refuser de voir les gens, mais bon c’est comme ça. Je vais jusqu’à la gare de Pékin sud, c’est à plus d’une heure en métro ici, tu ferais mieux de descendre à la prochaine.”

Arrive le moment de se séparer, Monsieur Hu me congédie avec le même sourire avec lequel il m’avait accueilli quelques heures auparavant. “N’oublie pas, quand je passerai à Paris, tu me dois un resto”.

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